Contexte
Madagascar et les archipels volcaniques satellites : les Seychelles, les Comores, Maurice (incluant Rodrigues), les îles Eparses ainsi que les Départements français d’Outre-Mer La Réunion et Mayotte, constituent l’un des Hotspots de la biodiversité terrestre et marine mondiale. Ces îles tropicales forment un écrin unique, renfermant un trésor biologique des plus précieux et sans équivalent à l’échelle planétaire. Le niveau d’endémisme y est particulièrement élevé. Cependant, en raison de la vulnérabilité extrême de ces écosystèmes insulaires face aux impacts de l’Homme (altération et perte de l’habitat, introduction d’espèces envahissantes, méthodes de collectes destructrices et surexploitation des ressources naturelles), la flore et la faune de ce Hotspot sont grandement menacées. Les effets des phénomènes naturels extrêmes tels que les cyclones ou encore les coulées volcaniques peuvent aussi être périodiquement importants. Par ailleurs, les réponses aux menaces environnementales rencontrent dans la majeure partie des îles de ce Hotspot plusieurs contraintes :
1- Les infrastructures et l’expertise technique y sont faibles ;
2- Le grand public est peu sensible aux problèmes environnementaux car il comprend mal les enjeux ;
3- Les aspects liés à l’environnement sont peu intégrés et peu pris en compte dans les politiques de développement mis en place ;
4- Les informations sur l’état des ressources naturelles et de la biodiversité sont insuffisantes.
Sur ce dernier point, la contribution des scientifiques est primordiale. Les chercheurs peuvent, en effet, agir pour un meilleur recensement de la biodiversité et une meilleure compréhension des processus évolutifs de cette biodiversité. Ces informations seront mises à disposition des décideurs politico-stratégiques pour mieux les intégrer dans les préoccupations régionales.
Parmi les organismes de recherche acteurs en faveur de la biodiversité de la partie Sud-Occidentale de l’Océan Indien, l’Université de La Réunion a inscrit prioritairement dans sa stratégie de recherche « la valorisation et la protection de la biodiversité terrestre et marine ». Sa position stratégique au cœur de la zone Ouest de l’Océan Indien est un atout indéniable ; elle offre des conditions de recherches exceptionnelles pour l’observation et l’étude de la biodiversité. Implanté à l’Université de La Réunion, le Laboratoire de Chimie des Substances Naturelles et des Sciences des Aliments (LCSNSA), par ses études sur la chimiodiversité menées aussi bien sur les plantes que les organismes marins, contribue activement au développement de cette thématique de recherche privilégiée.
Concernant plus particulièrement la chimie marine, le LCSNSA prend ses marques dans le domaine depuis le début des années 90. Les chercheurs du laboratoire s’investissent dans l’extraction, l’isolement et l’identification de métabolites secondaires d’invertébrés marins (éponges, ascidies et alcyons principalement).
Objectif des travaux de recherche
La Mission scientifique menée à bord de l’Antsiva s’inscrit dans le cadre d’un projet de recherche porté par le LCSNSA (Jacqueline Smadja – Anne Bialecki) et financé par l’Europe et La Région Réunion (FEDER : Fonds Européen de Développement Régional). Ce projet dont l’acronyme est BIOMOL TCN s’intitule « Activités Thérapeutiques, Cosmétologiques et Nutracétiques de Molécules issues de la Biodiversité terrestre, marine et microbienne de la zone Sud-Ouest de l’Océan Indien » et a débuté au cours de l’année 2012.
A bord de l’Antsiva, nous nous étions fixés pour mission la collecte d’invertébrés marins (Eponges, Ascidies et Coraux mous) localisés aux abords des îles Mitsio, au Nord de Madagascar. Tous ces invertébrés étant destinés à une étude exhaustive de leur composition chimique avec un double objectif :
Objectif 1 : La recherche de nouveaux candidats médicaments
Ces recherches permettront de découvrir des molécules originales aux propriétés structurales et/ou pharmacologiques intéressantes. Les substances naturelles ont en effet toujours été considérées comme la source privilégiée pour la découverte de médicaments ou de substances actives. On estime que plus de 60% des médicaments sont soit des substances naturelles, soit des dérivés ou des analogues, soit encore des molécules synthétisées sur le modèle des substances naturelles.
Pendant de nombreuses années, la recherche s’est concentrée sur les plantes et les micro-organismes terrestres, principalement parce que ces spécimens sont facilement accessibles. Aujourd’hui, une part croissante des promesses actuelles de la recherche pharmaceutique réside dans la mer dont les profondeurs sont peuplées d’une biodiversité d’une richesse remarquable. A cette biodiversité est associée une chimiodiversité fascinante laissant entrevoir une extraordinaire multiplicité de nouvelles possibilités en matière de découvertes pharmaceutiques. Il est aujourd’hui reconnu que les produits naturels marins sont les représentants les plus originaux de la diversité moléculaire. Les organismes marins, vivant dans un milieu hautement compétitif, produisent en effet des métabolites secondaires uniques qui ont des rôles écologiques essentiels à l’équilibre des biotopes (compétition pour l’espace, colonisation des surfaces, défense contre la prédation, séduction pour la reproduction…). La spécificité et l’originalité des molécules issues des organismes marins s’expliquent également par l’ensemble des caractéristiques physico-chimiques particulières du milieu marin telles que les fortes pressions, l’absence totale de lumière, des salinités variables ou la relative abondance d’éléments comme le brome, le chlore ou l’iode. Les invertébrés marins tels que les Eponges, les Ascidies et les Coraux mous font partie des organismes les plus étudiées pour leur composition chimique. Parmi les composés isolés de ces organismes sessiles, des molécules à activités biologiques (anticancéreux, antiviral, anti-inflammatoire, antibiotique, immunosuppresseur, anti-Alzheimer…) ont été découvertes, et sont en phase d’essais précliniques ou cliniques.
Objectif 2 : Comprendre et sauvegarder la biodiversité marine
Les recherches envisagées permettront de contribuer à la caractérisation de la biodiversité marine de la zone Sud-Ouest de l’Océan Indien à travers sa composante chimique. La communication chimique est en effet un mode de communication universel à tous les êtres vivants – des unicellulaires végétaux ou animaux, aux êtres les plus complexes. En mer plus encore que sur terre, l’utilisation de médiateurs chimiques par les organismes vivants constitue un élément indispensable dans l’établissement des relations intra- et interspécifiques. Ceci est d’autant plus vrai que parmi les organismes marins plusieurs milliers d’espèces – c’est le cas notamment de la plupart des invertébrés marins – sont sessiles et dépourvues d’organes sensoriels tels que la vision et l’audition.
L’écologie chimique, avec l’étude du rôle des métabolites secondaires dans la médiation des interactions biotiques, se trouve au cœur de questions fondamentales en biologie évolutive et en écologie fonctionnelle, sur le fonctionnement des écosystèmes et sur la dynamique et le maintien de la biodiversité.
Méthodologie
Les travaux envisagés comprennent 4 étapes fondamentales :
1. La collecte des invertébrés marins
Cette étape a été réalisée à bord de l’Antsiva au large des îles Mitsio. Les observations et prélèvements des organismes ont été réalisés en plongée autonome à l’air comprimé jusqu’à 25 m de profondeurs. Les plongeurs ont opéré en trinôme.
Les prélèvements d’invertébrés marins (Eponges, Ascidies et Alcyons) ont été effectués à la main ou à l’aide d’un couteau en fonction de la taille des organismes et de leur mode d’accrochage au substrat. Pour l’ensemble des études (taxonomie, phylogénétique, chimie, bioactivité) le but a été de récolter environ 500 g (poids mouillé) pour les éponges et coraux mous, entre 200 et 400 g pour les ascidies. Chaque organisme collecté a été photographié dans son environnement naturel.
Au retour de la plongée, pour chaque station, les récoltes ont été triées, puis, chaque taxon référencé par un code faisant apparaître la zone géographique (MAD : Madagascar), l’année de récolte 12 (2012) et un chiffre croissant (e.g. MAD13-001). Une photographie numérique a ensuite été réalisée ainsi qu’une description précise rappelant: la forme, la couleur, la consistance ainsi que toutes les caractéristiques pouvant aider ultérieurement à la détermination taxonomique.
Les échantillons ont ensuite été conservés à bord de l’Antsiva au congélateur (à -20°C) puis transportés congelés jusqu’au Laboratoire de Chimie des Substances Naturelles et des Sciences des Aliments à l’Université de La Réunion. Ces échantillons sont maintenus congelés en attendant que débutent les études de chimie ainsi que les études de taxonomie et de phylogénie moléculaire pour leur identification précise.
2. La sélection des invertébrés marins à étudier
Une sélection des invertébrés marins à étudier est réalisée au laboratoire. Chaque organisme est soumis à des protocoles standardisés d’extraction, de tests biologiques sur des cibles définies (activités cytotoxiques, antipaludique, anti-chikungunya…), et de première analyse chimique globale (autrement appelée métabolomique) par chromatographie liquide haute performance couplée à un spectromètre de masse et par résonance magnétique nucléaire. Les résultats des tests biologiques et des signatures chimiques obtenus à l’issue de ces premiers traitements permettent alors une sélection raisonnée des organismes à étudier chimiquement. Les invertébrés marins ainsi choisis font ensuite l’objet d’une analyse exhaustive de leur composition chimique.
3. L’étude chimique des invertébrés sélectionnés
Les métabolites secondaires contenus dans les invertébrés marins sélectionnés, sont dans un premier temps, isolés et purifiés par différentes techniques chromatographiques, puis identifiés au moyen de techniques spectroscopiques telles que la spectrométrie de masse haute résolution et la résonance magnétique nucléaire mono et bidimensionnelle.
Purifiées et isolées, ces molécules sont alors testées sur diverses cibles pharmacologiques afin d’évaluer leurs activités biologiques : activités anticancéreuses ou encore antivirales (Paludisme Dengue, Chikungunya…).
4. La valorisation des résultats
La valorisation des résultats sera effectuée sous forme de dépôts éventuels de brevets, de publications scientifiques et de participations à des congrès scientifiques.